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18 septembre 2010 6 18 /09 /septembre /2010 10:56

Un musée de la ferronnerie

espagnole en Navarre

 

 

n Au cours du 7e symposium de la forge européenne d’Arthous, quelques dizaines d’entre nous ont eu la chance de découvrir Chillida-leku. A cette même occasion, j’ai eu le privilège grâce à Arnaud Duny-Pétré, un passionné de ferronnerie, de faire une deuxième escapade en Espagne à la découverte d’une collection privée. Nous sommes rendus en Navarre, à quelques 90 kilomètres au sud de Pampelune, dans une commune de 8000 âmes. Les clochers des deux églises baroques dominent le centre historique, un soleil radieux illumine l’appareillage ocré de ses petits palais de briques. Ils s’alignent tout au long des rues étroites mais fortement ventées en ce jour d’automne. Les façades personnalisées arborent des portes cloutées, des balcons forgés, des grilles de fenêtres, des heurtoirs… conservés in-situ, mais aussi de spectaculaires écussons de pierre traités en très haut relief, aux armes du maître des lieux. C’est dans un de ces hôtels particulier que J.A.S. a choisi d’installer son trésor, sur quatre niveaux, suivant une organisation par panneaux, 177 en tout, sur fond or ou bien écarlate ou parfois bleu.

Initié dès son plus jeune âge par son grand-père maternel antiquaire, J.A.S. a traqué avec détermination les pièces rares, les a collectées pendant une soixantaine d’années. Ma stupeur fut immense durant cette déferlante de 4500 objets en fer réunis en un même lieu. Qu’ils fassent partie du patrimoine mobilier ou bien immobilier, qu’ils soient présentés en situation ou bien sortis de leur cadre naturel, ils permettent d’avoir une vision synthétique de la ferronnerie ancienne espagnole au cours des époques romanes, gothique, platéresque, puis baroque, influencées  par les formes orientales, sur huit siècles.


Huit cents clous aux têtes décoratives

Tributaires de la mode, les grilles, les défenses de fenêtres, les portes, les balcons et leurs jambes de force, les clous, le pentures, les targettes, les cadenas, les serrures de portes, de coffres, d’armoires, les crémones, les poignées, les loquets et verrous… participent à la fermeture des bâtiments, à la protection de l’individu et de ses biens.

Huit cents clous aux têtes décoratives forgées, coniques, tronconiques, à graines, à facettes, burinées, proéminentes, traversent des platines de toutes sortes aux découpes et profils variés à l’infini, certaines plates, gravées, d’autres bombées en tétons, d’autre encore en étoiles, en forme de coupelles, polylobées, fleuries, à un ou plusieurs étages… Cette multitude de clous nous rappelle le rôle primordial qu’ils ont joué dans la construction de la porte : au niveau de la liaison des planches croisées (en l’absence d’assemblage en bois), ils solidarisent le bois et les ferrures plus ou moins ouvragées (penture, fausses pentures et motifs) ; ils servent également de blindage dissuasif (cf la cathédrale de Gerona). Chaque œil roulé de l’une des imposantes consoles en esse, supportant la dalle d’un balcon reçoit des coupelles fleuries. Nombreuses sont les serrures, beaucoup à bosses, au palastre sculpté, filigrané, découpé, repercé, gravé, traité en orbe-voie qui conservent leur clef. D’autres clefs ont perdu leur serrure, d’autres serrures ont perdu leur clef !


Colonnettes composites

Trois cents barreaux, de section carrée ou circulaire, ont appartenu à des grilles, des rampes, des balcons ou des chaires à prêcher. Ils sont en forme de colonnettes composites au profil droit ou galbé, en balustre composé d’un chapiteau, d’une tige avec panse et col, d’un piédouche, avec un tronçon torse tourné à l’étampe, un tronçon vrillé. La mouluration parfois complexe et étagée sur plusieurs niveaux est prétexte à un décor de tête d’artichaut, à l’unité ou bien double, en opposition par rapport aux bagues. Confrontées à la diversité de ces barreaux, je revois et ce n’est pas en rêve, toutes ces ferronneries (photographiées lors de plusieurs périples en Espagne) dont l’apogée se situe au XVIe siècle. Ce sont les grandes grilles et portes d’édifices civils comme par exemple l’ayuntamiento (hôtel de ville) de Granada, d’édifices religieux tels ceux d’Avila, Baeza, Berlanga de Duero, Castillo d’Empuries, Cordoba, Girona, Jaca, Léon, Lugo, Palencia, etc. des balcons à Burgos et Léon…, des défenses de fenêtres à Alcala de Henarés, Léon, Tremp, en grande concentration en Catalogne, des marteaux, des verrous, des serrures et des pentures… qui font preuve d’une grande maîtrise de la matière.

Des pièces ont été conservées dans leur intégralité : des grilles dont une grande à mailles carrées, dans laquelle s’ouvre un petit huis à colonnes, des meubles dotés de toutes leurs ferronneries d’origine, des coffres et d’intéressants bargueño (secrétaires portatifs) pourvus d’un système spécial pour bloquer la porte en position ouverte.


Esthétisme et fonctionnalité

Les marteaux de porte tirants, frappeurs sont légion. Présentée sur une platine ouvragée, leur poignée non figurative, ou bien figurative, zoomorphe (un lion couronné ou non, un chien, un bovidé, un oiseau toutes ailes déployées, un serpent), anthropomorphe (une cuisse, un bras…), à décor végétal, géométrique, prend la forme d’un anneau, de boucles, en cuisses de grenouilles, d’une pendeloque. Ils s’articulent dans un lacet bombé, cannelé, cranté… fantaisie.

Ce musée abrite également des outils (marteaux, balances, fers à marquer les animaux, des enclumes ou plutôt des tas), des objets utilitaires qui s’articulent autour du foyer (grils, chenets), un soufflet imposant, de l’éclairage (luminaires, chandeliers, porte-éclats, lampes), des instruments tranchants (couteaux, ciseaux, épées), alliant esthétisme et fonctionnalité dans l’esprit des arts et traditions populaires.

Tous deux situés en Catalogne, le musée public Cau Ferrat de Sitges et le musée épiscopal de Vic, présentent de la ferronnerie espagnole ancienne. En quantité, la collection de J.A.S. est beaucoup plus riche que ces ensembles de Sitges et de Vic.

Il existe quelques similitudes entre la démarche de J.A.S. et celle de Chillida. Ils ont implanté un musée dans un cadre qu’ils ont choisi, acquis, organisé selon leur propre mise en scène. Le premier a collecté une myriade de ferronneries espagnoles anciennes d’auteurs «inconnus», de toutes origines, réparties sur huit siècles ; le second y a disposé ses propres travaux, sculptures, études, dessins, gravures, à sa guise. Il en a racheté certains.

Pour J.A.S., c’est un crève-cœur, car il songe à se séparer de sa collection, œuvre de toute une vie.

 
                                                                                                             Michèle Pellet

 

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commentaires

S
Bonjour,<br /> <br /> Ces objets anciens me semblent très intéressants et j'apprécierais de voir quelques exemples.<br /> <br /> Serait-il possible de mettre en ligne quelques photos pour que nous puissions nous rendre compte de l'esthétisme de cette collection ? Cela illustrerait le blog.<br /> <br /> Merci et bonne continuation.
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