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18 septembre 2010 6 18 /09 /septembre /2010 10:58
J.A.S. collectionneur, histoire d’une passion

 

d Qui êtes-vous Monsieur J.A.S., pourriez-vous vous présenter ?

J.A.S. : Je suis un chef d’entreprise aujourd’hui âgé, un homme d’affaires. A partir de 1946, j’ai fabriqué et vendu en Europe des meubles de qualité, en particulier du mobilier en noyer et chêne massif de style espagnol. Mon activité professionnelle fut donc liée aux arts décoratifs et ma formation initiale en mécanique industrielle a développé cet intérêt pour le travail manuel pratiqué autrefois.

Durant mon adolescence à la fin des années 30, je me suis passionné pour les arts et les objets anciens, sans doute influencé par mon grand-père maternel qui était un antiquaire renommé, une activité que j’ai poursuivie. Mon appétit de collectionneur s’est exercé dans d’autres domaines que celui de la serrurerie et de la ferronnerie anciennes. J’ai collectionné les armes, les cartes postales et les photographies, l’outillage ancien, les monnaies, les horloges, les bronzes, etc. Mais mon principal centre d’intérêt se porta très tôt sur la ferronnerie et la serrurerie, à une époque où les pièces de qualité apparaissaient assez souvent sur le marché.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que je suis toujours fasciné par la beauté du fer. Pour en exprimer le charme, qu’il me soit permis de citer ici la très belle prose poétique de la Conservatrice de musée, Catherine Vaudour : «Le fer est le matériau de tous les contrastes. A l’opposé du cuivre et de l’or dont la couleur évoque le soleil, donc la lumière, c’est-à-dire le jour et la vie, le fer est l’élément de l’ombre, qui renvoie à la nuit, à l’absence et à la mort. L’ombre cependant n’est qu’une transition, entre la lumière et les ténèbres, entre le cosmos et le chaos. De la même façon, le fer, dans sa noirceur naturelle, n’est pas obscur. Il accroche la lumière en de subtils reflets, au creux de ses aspérités. Lisse et poli, il devient aussi vif que l’argent et peut prétendre à la somptuosité des métaux précieux. Toutes les nuances de ce matériau peuvent être mises en valeur par son façonnage. La beauté de ses gris n’est pas inférieure à celle de l’or. C’est opposé à la lumière que le fer exprime le mieux ses jeux d’ombres contrastées. Les grilles servent à clore ou faire passer le jour ; les balcons, de l’intérieur, dessinent leurs entrelacements noirs sur fonds de paysages ; les clôtures révèlent dans les chapelles absidiales les trésors d’orfèvrerie qu’elles protègent ; les enseignes à contre-jour sur fond de ciel sont autant de calligraphies à claire-voie dans lesquelles le clair et l’obscur dialoguent»(1)…

 

d Quel est le contenu de votre musée ? Comment se présente-t-il ?

 

J.A.S. : Il s’agit d’un ensemble de plus de 4500 pièces anciennes en fer forgé, couvrant une période de huit siècles. J’ai rassemblé ces objets-témoins de notre civilisation, que des forgerons, des artistes restés le plus souvent anonymes, ont  confectionnés avec un talent, une énergie tout à fait hors du commun, lorsque l’on connaît les moyens dérisoires dont ils disposaient. La fabrication d’une serrure de coffre ou de bargueño, d’une série de barreaux de balcons exigeait un temps de travail considérable, dans des conditions très rudes.

Objets civils domestiques mais surtout serrures et clefs, clous de portes, heurtoirs, pentures, loquets, targettes, barreaux, etc. tout ce qui fait référence à la porte de maison ou de meuble, à l’acte d’habiter est chargé de culture, de symboles, voire de poésie. Leur patine, leur usure, le grincement ou le claquement d’un ressort… ces objets nous parlent, ce sont nos ancêtres qui s’adressent à nous par leur intermédiaire. Ils ont certes une fonction technique, mais sont aussi les signes d’un statut social, un signe extérieur de richesse ou de pouvoir, le reflet d’une époque, qu’elle soit romane, gothique, baroque, renaissance, ou encore platéresque.

Dans leurs infinies variations, ils sont la marque tangible d’un savoir-faire, d’un effort séculaire, mais aussi de ce qui caractérise l’être humain : notre désir de créer du beau, de l’art. Lorsqu’ils sont entrés en fonction lors de leur pose sur une porte ou une façade, ce fut l’aboutissement d’une longue et laborieuse chaîne de fabrication qui débute avec l’extraction du minerai de fer et engage plusieurs métiers. La puissance créatrice des ferronniers se déploie, structurée sur des contraintes techniques et nourrie par la culture de leur temps. Le forgeron qui conjugue les quatre éléments, fer, feu, air, eau dans la fournaise de sa forge, dompte les énergies primordiales. Rien d’étonnant que cette alchimie en fasse un personnage de légende doué de puissance physique et crédité de pouvoirs occultes, en lien avec les dieux !

Il y a une quinzaine d’années, j’ai rassemblé toutes ces pièces sur des panneaux facilement transportables, installés dans une dizaine de salles d’une maison de maître, celle de mes ancêtres maternels. Le tout est facilement démontable afin d’être déplacé et présenté en un autre lieu.

 

d Quand et comment avez-vous constitué cette collection ?

 

J.A.S. : Elle représente une quête infinie durant plus de soixante dix ans et provient pour l’essentiel de la Péninsule ibérique mais aussi de France. Cela a nécessité une grande constance, beaucoup d’efforts, d’émotions, des milliers de kilomètres parcourus, des moyens financiers importants bien entendu, l’acquisition d’une culture du fer forgé, de grandes joies, des déceptions parfois, comme dans toute entreprise humaine ; mais d’abord un grand désir inépuisable, celui de présenter un panorama le plus complet possible dans ce domaine. Peu à peu, beaucoup connaissaient ma passion et me proposaient de la ferronnerie ancienne d’une qualité remarquable et que je n’aurais pu acquérir dans d’autres conditions.

Toutes les pièces que je présente, à l’origine n’étaient évidemment pas dans l’état de conservation où vous les voyez. Certaines étaient recouvertes de rouille, dégradées, cassées ou usées. Toutes ont été patiemment remises en état en les respectant, en reprenant leur logique de fabrication originelle, le savoir-faire de l’homme de l’art auteur de l’objet.

 

d Question difficile pour tout collectionneur, quel est l’avenir de votre trésor ?

 

J.A.S. : Dans la vie humaine, tout a une fin. Celui qui possède, à plus forte raison une immense collection, ne doit jamais oublier que «nu il est sorti du ventre maternel, nu il entrera dans le linceul». Il faut savoir se détacher des choses que l’on a beaucoup aimées. Après le temps de la collecte et de la sauvegarde du patrimoine qui réservent tant de joies, arrive une nouvelle étape, celle de la transmission. Aidé par mes enfants qui ont d’autres centres d’intérêt, j’envisage de me défaire de ce musée, aujourd’hui ou demain, en toute sérénité. Je préfèrerai qu’il reste le plus complet possible, plutôt que d’être dispersé : qu’il demeure peut-être entre les mains d’une institution détenant un patrimoine important autour du fer ou d’un particulier ayant les moyens de le pérenniser.

Comme dit le poète: «El pan que da el trabajo es mas sabroso

                                   Que la escondida miel que con empeño

                                   Liba la abeja en el lugar frondoso ;

                                   Si comes ese pan seràs tu dueño,

                                   Màs si del ocio ruedas al abismo,

Todo lo podràs ser menos tu mismo».

 

(1) Catalogue de l’exposition Forge et Forgerons, jeux d’ombres et de lumière, Musée archéologique du Val d’Oise, 2007-2008, Editions du Valhermeil, 64 p.

 

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commentaires

S
De très belles collections qui nous rappellent le travail de nos gros parents.
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